La Quête du Diamant

lundi 29 mars 2010

Traité Théologico-Politique de Spinoza (1632-1677) - Chapitre XX -: " Où l'on montre que dans un Etat libre il est loisible à chacun de penser ce qu'il veut et de dire ce qu'il pense ".

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La Quête du Diamant - Extrait -

«Mais nous ne voulons pas du royaume des cieux: nous sommes devenus des hommes » lit-on dans le Zarathoustra de Nietzsche; «Aussi voulons-nous le royaume de la terre».

Zarathoustra, du point de vue de Nietzsche, lui est un esprit libre. Après dix ans de méditation dans sa caverne, il retourne dans le monde pour y prôner et pour y enseigner l’avènement à venir d’un nouveau type d’humanité qui sera supérieure. Or Nietzsche rejette absolument toute idée d’arrière monde, toute idée d’au-delà, toute idée d’idéal, qui soit hors d’atteinte de la réalité qui nous est accessible et immédiate; à ses yeux il n’y a rien que le réel et le concret.

Pour Nietzsche, Dieu est mort en effet. Dieu n’a aucune raison d’être, ou tout au moins pas dans le sens où nous concevons Dieu. Il n’y a pour Nietzsche que la vie et l’affirmation de la vie, l’acquiescement à l’existence dans tout ce qu’elle suppose de souffrance et de joie, de consentement à son destin, et d’adhésion à l’Eternel retour, doctrine selon laquelle l’instant a le caractère de l’éternité puisque tout revient sans fin et sans cesse, comme éternellement à l’identique.

Or sa pensée est en un sens une morale supérieure au travers de nouvelles valeurs; quand bien même elle est dangereuse ou en tous les cas, controversée, de par l’enthousiasme même qu’elle suscite facilement sans véritable réflexion ou par les contresens qu’elle peut entraîner, Nietzsche flattant facilement l’intelligence que nous pouvons avoir de sa propre pensée. Pourtant il n’en demeure pas moins que toute la philosophie de Nietzsche est une ode à l’existence, une réhabilitation, du corps et du sensible, une sublime valorisation de l’individualisme; l’homme n’étant qu’une chose qui ici-bas doit être dépassé.

« Je vous enseigne le surhumain. L’homme est quelque chose qui doit être surmonté. Qu’avez-vous fait pour le surmonter?».

Ce n’est pas chez Nietzsche que l’homme devienne premier dans la hiérarchie des valeurs, mais que le surhumain le soit. Sa force et sa vitalité, sa volonté de puissance, la puissance de ses instincts, sa créativité, sont en un sens «divinisés». «Aussi voulons-nous le royaume de la terre» écrit Nietzsche.

Comment concilier ou réconcilier l’idée selon laquelle la vie doit être et avant toute chose, une affirmation de la vie, et à travers elle du désir, et celle d’une perspective spirituelle qui ne serait pas une négation et une condamnation de la vie et à travers elle du désir, un refuge dans l’autre monde, ou bien pour ainsi dire, une exclusion de celui-ci?

Car c’est ici que nous vivons, pas dans le Ciel ni dans les cieux, mais bel et bien sur la terre ferme. La réalité essentielle, pour nous tous est dans le concret et s’incarne dans le réel, immédiat et tangible. Le réel est prioritaire, et que nous le voulions ou non; quelles que soient nos aspirations, y compris spirituelles. Ce qui est hors d’atteinte de la réalité, ce que représentent ces autres «réalités», sont en bordure du monde si je puis dire, relèvent de la croyance et de la foi, ce n’est pas qu’elles n’aient pas selon moi d’influence ni d’existence puisque nous y participons, mais que nous soyons aussi obligés d’être enracinés dans le corporel et dans le terrestre, parce que sans cela nous serions des dieux ou peut-être des anges, ou pire encore des fous que plus rien ne pourrait sauver, et nous ne le sommes pas. Nous ne sommes rien qu’humains. La part de sainteté et de divinité qui dorment en nous, reposent, n’en rendent pas moins nécessaires notre adhésion à la réalité, notre consentement aux faits, notre acquiescement à la vie, notre aptitude à intégrer le corporel et à accepter le réel; si ce n’est l’urgence de vivre, le devoir et l’honneur d’exister.

Ce que Nietzsche rejetait en réfutant la religion, c’est la soumission et la servitude, l’obéissance aux dogmes et aux principes considérés jusqu’à lui fondamentaux, la tutelle des arrières mondes sur la conscience humaine depuis la nuit des temps. C’est l’univers entier tel qu’il a été défini depuis Platon que Nietzsche remet en question. Mais peut-on enterrer Platon? Il est en ce sens révolutionnaire. Pour lui, le christianisme en particulier, «ce crime contre la vie», et les morales en général, ou en tous les cas le moralisme, relèvent de la stupidité, invitent à la répression des instincts, des pulsions, et au rejet du corps, à la négation du réel, si ce n’est à la culpabilité à cause de l’angoisse du péché, parce que pour Nietzsche les valeurs morales ne sont qu’issues de la souffrance et du ressentiment, de la lassitude et de l’impuissance; de ce qu’il appelle lui, le règne des plus faibles sur les plus forts.

Qu’il y ait en nous tous une part nietzschéenne, qui puisse adhérer le plus naturellement du monde à cette perspective d’une liberté sans limites délivrée de toutes valeurs morales absolues, je ne puis pas le contester. D’autant plus que cet espoir de créer un monde qui soit totalement neuf et qui tout à la fois le dépasse et le réinvente, est d’une inévitable séduction. Or nous ne sommes pas nous, les hommes «supérieurs», les hommes «véritables», que son Zarathoustra annonce, et nous n’incarnons pas son Surhumain, quoi qu’en pense les uns, les autres. Nous sommes nous perdus selon Nietzsche, dans ce stade du nihilisme qui préfère le confort, la sécurité matérielle. Même son Zarathoustra est finalement rejeté par la foule qui ne veut rien que du bonheur, sans devoir, sans morale, sans contraintes.

«Ma souffrance et ma compassion, qu’importe!» écrit Nietzsche au travers de Zarathoustra; «Est-ce au bonheur que j’aspire? Ce à quoi j’aspire, c’est mon œuvre!».

Joseph Ratzinger, c’est-à-dire Benoît XVI, oppose la «splendeur tentatrice» de l’image Nietzschéenne de l’homme, dont on devine qu’il la considère comme une morale de l’égoïsme, au chemin ardu et difficile des véritables hauteurs de la vie morale qui ne consiste pas en ce que l’homme s’élève lui-même au rang de divinité. En arrière-fond, on peut même imaginer ou deviner, que derrière cette splendeur tentatrice, c’est une représentation du diable en tant qu’Ange déchu que souhaite nous souffler le Pape; une forme de damnation vis-à-vis de la suffisance et de la prétention que Nietzsche a eu de défier Dieu et le christianisme aux yeux de l’Eglise. L’Œuvre de Nietzsche, diabolique? Sans aller jusque-là, j’en déduis que pour Benoît XVI, l’idéal nietzschéen incarne cette arrogance et cet orgueil de l’homme qui le détruisent de l’intérieur et le portent à sa ruine, à sa perte, en l’arrachant à la hauteur et à la profondeur de sa destination spirituelle ultime.

Comment concilier ou réconcilier l’idée selon laquelle la vie doit être et avant toute chose, une affirmation de la vie, et l’idée que la religion ou au moins la croyance, et à travers elle la foi, ou ne serait-ce que la foi en des valeurs morales, puissent être source de joie, puissent être à l’origine d’un réel bonheur qui tout autant affirme la vie, si ce n’est la transcende, ou en tous les cas la célèbre, la sublime? Réconcilier Nietzsche et Benoît? Peine perdue. Mais nous réconcilier nous-mêmes et en nous-mêmes avec l’idée que le Corps n’exclut pas le Cœur ni l’Esprit, et accepter l’idée que la Vie en elle-même doit être une source de Joie, est-ce antireligieux, décadent, hérétique? N’est-ce pas au contraire, fondamentalement Moderne?

Ce n’est pas d’expiations, de remontrances, de répressions, de punitions, que se nourrit l’Amour; puisque la véritable essence du christianisme devrait être l’Amour. Là où le christianisme insiste sur la notion de péché au sens de faute, les Grecs nous mettaient en garde contre la démesure ou hubris et hybris, à laquelle ils opposaient la tempérance, si ce n’est la prudence aristotélicienne, Socrate quant à lui, préconisait une vie bien réglée, le Bouddha enseignait l’observance de vertus et la Voie dite du Juste-milieu, c’est-à-dire l’équilibre, et l’équilibre en toutes choses, la suppression des causes de toute notre souffrance. Peut-on penser la véritable Religion sans tolérance, ouverture d’esprit et Amour?

Or s’il ne peut pas y avoir de tout évidence, de véritable vie spirituelle sans un minimum de contrainte morale de l’ordre du devoir, quand bien même ce devoir peut bien être des plus naturels en ce qu’il relève tout autant de l’âme, du cœur, de la bonne volonté et de la véritable Raison, ou tout au moins d’un esprit sain et bien réglé, animé de droiture, d’un cœur doux, dépouillé et aimant, généreux, ce n’est certainement pas dans l’obligation que l’âme va pouvoir s’éveiller à nous le plus naturellement du monde. La spiritualité doit-elle inévitablement être de l’ordre de la répression voire du ressentiment, de la souffrance? Peut-on parler de spiritualité lorsque la répression de tout instinct au nom de valeurs absolues, le plus souvent morales, ôte à la vie son goût, ses joies, ses charmes et sa simplicité?Evidemment que toute quête spirituelle est un cheminement moins immédiat, et peut-être moins accessible à tous, parce que réclamant des efforts et des dispositions à l’excellence, à la vertu, mais en quoi serait-elle pour autant doloriste? Ne peut-on concevoir une vie spirituelle qui puisse juste ressembler à la vie en tant qu’elle n’est rien qu’un chemin qui peut être soit, escarpé, mais tout autant constitué de joies que d’épreuves et d’embûches?

Cette quête de tous les jours qui nous permet de nous approprier notre existence et de vivre aussi pleinement que possible, quand bien même elle peut être tout aussi bien source de souffrance que de joie, elle est notre réalité, notre présence au monde, notre responsabilité.

Nathalie Gaul Kaïsu.